About Industry
Can art and business ever meet ?
What are they ? Where are they ?
The borders between the various elements are porous. We find ourselves face to face with a world breaking through appearances, like a snake shedding its skin. The visible becomes ab-stract, technology is showcased alongside craftsmanship, local and global aspects coincide. People are strangely absent from these works, yet they speak volumes about human activity.
Wivine de Traux, curator and author
About Flowers
In the spring of 2020, the artist, Thierry Dubrunfaut, was homebound as were most of us. He then finds a subject worthy of his creative curiosity: plants and more precisely flowers. He focuses his lens on them as he did previously on the industrial world and before that on female models for his high fashion shoots. He probes their states, their matters, their colours and their exchanges and mimicries with other species.
“Our capacity to perceive quality in nature starts, as in art, with the pleasure of the eyes. It then expands, following different stages of beauty, to values not yet revealed by language”1
Flowers is a work born out of lockdown. A series developed according to a particular focus on its biotope, guided by a need to (re)unite with what constitutes a direct life environment. When confronted with the complexity of his subject, Dubrunfaut is at the same time amazed and at loss and opts for a playful approach. At home, he sets up a studio to meet his needs, makes miniature scale models and deploys a stage against a backdrop of diverse matters. Flowers focus all his attention. Anemone, iris, rose, hellebore, poppy, waterlily, sunflower or rarer plants found at his florist’s are scrutinised in their privacy and in turn seduce and affect him freely. The photograph freezes that fragile moment in time watchful for a fleeing life form emerging “here and now”. Some metamorphosis is under way. Bud about to blossom on a first shot, the plant stands hieratically on another; or even wilted and curled up, infiltrated by light in its transparency. Some vibrating nearly stellar form in the process of reuniting itself with the earth and the stars. These mutations help us understand how flowers flirt with other bodies and are constituted by their protean environment. It is no longer a flower but some insect, skin, shell, mushroom, sun, tuber or female and male organ. Dubrunfaut seems to linger on his model once its prime freshness has vanished. With the utmost modesty, he lets us catch a glimpse of its next decomposition but also of its amazing capacity to retain its gracefulness and sensuality.
Thierry Dubrunfaut’s approach falls within the legacy of flower observers, botanists first like Darwin’s meticulous and passionate study of orchids and their interactions with insects, but also and foremost that of painters and their capacity to tell multiple tales by lingering on the beauty of living matter. Think of the Flemish masters’ still lives or more recently of the mysterious and timeless bouquets of Giorgio Morandi, the “Polish hermit”. The influence of photographers such as Irving Penn or Robert Mapplethorpe can be felt as well. These creative practitioners were able to catch the unseizable strangeness of their model. Like them, Thierry Dubrunfaut makes himself available to his subject, the flower. He wants to think with it and approach the irreducible singularity of every one of them. His approach is one of empathy. This experimental practice reminds us of Michael Taussig’s words and of the anthropologist’s interpretation of mimesis conceived as “affective ecology”: “A sensual moment of knowledge that sees the knowing agent succumb to and be swept along into the unknown”.
Wivine de Traux, curator and author
À propos Industry
Y a-t-il une rencontre possible entre l’art et l’entreprise ?
La question reste ouverte mais une chose est certaine, si rencontre il y a, elle n’est pas unique mais plurielle. On l’a vu changer selon les moyens de production et les systèmes économiques et prendre tour à tour les formes les plus diverses. Elle suscite l’adhésion ici, le doute ailleurs ou parfois, plus discrètement, produit l’étincelle. Le type d’étincelle que l’on voudra préserver, car elle est pour les acteurs de notre société, une ouverture à des devenirs possibles et des transformations positives « du système ». Dans une réalité trop souvent hantée par l’absence d’espoir et une mélancolie de la finitude, nous mesurons l’importance qu’il y a à réactiver le potentiel créatif de chacun, afin d’imaginer individuellement et collectivement un monde pour demain.
À l’occasion de ses 125 ans, La FEB a choisi de présenter les photographies de Thierry Dubrunfaut. Elle le fera dans trois lieux en Belgique : à Bruxelles, à Mons et à Gand. Depuis plus de 10 ans, l’artiste est parti à la rencontre d’un certain paysage belge : celui de ses entreprises. Il a d’abord fixé sa caméra sur les industries, pour s’attarder ensuite sur le domaine du commerce et des services et, enfin, sur celui de la construction. Le photographe découvre la diversité des entreprises du pays, leur renommée et leur capacité inégalée à s’exporter à travers le monde. Il s’émerveille tel un enfant ou plutôt tel un peintre, car ce sont les questions de compositions et de chromatisme qui motivent principalement sa démarche.
Les images de Thierry Dubrunfaut nous parlent de matière et de lumière : vives, évanescentes, rudes, froides, brutales, chaudes, sensuelles ou légères. Du fragment à la méga structure qui aspire le visiteur dans ses méandres, les photographies se composent en couches successives selon le temps réservé à la prise de vue. Car l’artiste compose ses œuvres directement face à son sujet, et rien n’est ensuite retouché. Les formes se croisent, se superposent, s’entrelacent même ici et là. En constante métamorphose, elles semblent hésiter entre ordre et chaos. Machine brulante, architecture austère, métal irisé, fleurs ou charbons disposés en montagne, chocolat en rivière, conteneurs en avenue, nous nous interrogeons devant ces compositions énigmatiques. Qui sont-elles ? Ou se situent-elles ? Les frontières entre les éléments sont poreuses. Nous sommes face à un univers qui se défait de ses apparences comme un serpent le ferait de sa peau lors de la mue. Le visible devient abstraction, la technologie côtoie l’artisanat et le local le global. L’homme est étrangement absent de ces œuvres, alors que tout parle de lui.
Les photographies de Thierry Dubrunfaut s’apparentent à des machines à rêver, dont la fonction serait d’aménager un espace pour l’imaginaire. Un récit se met en place, se déploie. Il joue avec les différentes couches d’une réalité que l’on croit connaître. Lignes et courbes, ombres et couleurs diffusent un certain rythme. Elles invitent le regardeur à entrer dans la danse, à aiguiser sa vigilance. N’est-ce pas finalement ce que l’on attend de l’art : mettre en mouvement la pensée afin qu’elle retrouve sa puissance d’exister?
Wivine de Traux, commissaire d’exposition et auteure
À propos de Flowers
Au printemps 2020, l’artiste Thierry Dubrunfaut est confiné chez lui comme la plupart d’entre nous. Il trouve alors un sujet à la hauteur de sa curiosité créative : le végétal et plus précisément la fleur. C’est sur elle qu’il pointe son objectif, comme il l’a fait précédemment sur le monde industriel et avant cela sur les modèles féminins lors de ses reportages de mode. Il l’interroge dans ses états, ses matières, ses couleurs, et dans ses échanges et mimétismes avec d’autres espèces.
“Notre faculté de percevoir la qualité dans la nature commence, comme en art, par le plaisir des yeux. Elle s’étend ensuite, suivant différentes étapes du beau, jusqu’à des valeurs non encore captées par le langage.”
Flowers constitue une œuvre de confinement. Une série développée selon un mode particulier d’attention apporté à son biotope, guidée par un besoin de (re)nouer avec ce qui constitue un milieu de vie direct. A la fois émerveillé et dépourvu devant la complexité de son sujet, Dubrunfaut choisit le jeu pour l’approcher. Il organise chez lui un studio à son échelle, réalise maquettes en miniature et déploie une scène sur fonds de matières diverses. La fleur est le centre de son attention. Anémone, iris, rose, hellébore, pavot, nénuphar, tournesol ou plante plus rare qu’il va trouver chez son fleuriste, il scrute chacune d’entre elle dans son intimité et se laisse librement séduire et affecter. L’instant arrêté par le photographe est fragile, attentif à une forme de vie fugace se produisant “ici et maintenant”. Une métamorphose est en cours. Bourgeon au bord de l’éclosion sur un premier cliché, la plante se dresse hiératique sur un autre ; ou encore fanée et repliée, infiltrée dans sa transparence par la lumière. Une forme vibrante déjà stellaire, en passe de rejoindre la matière de la terre et des étoiles. On comprend devant ces mutations que la plante fleurte avec d’autres organismes, qu’elle se laisse composer par les différents corps de son environnement. Elle n’est plus seulement fleur mais insecte, peau, coquillage, champignon, astre solaire, tubercule ou sexe féminin et masculin. Dubrunfaut semble aimer s’attarder sur son modèle une fois sa première fraicheur passée. Il nous laisse alors entrevoir avec beaucoup de pudeur sa décomposition prochaine mais également sa capacité déconcertante à conserver grâce et sensualité.
Thierry Dubrunfaut inscrit sa démarche dans l’héritage des observateurs de la fleur, les botanistes d’abord, tel Charles Darwin dans son étude méticuleuse et passionnée de l’orchidée et de ses interactions avec les insectes mais également et surtout les peintres dans leur capacité de multiplier les récits en s’attardant sur la beauté du vivant. On pense aux Natures Mortes des maîtres flamands ou plus récemment aux bouquets mystérieux et intemporels de “l’ermite bolonais”, Giorgio Morandi. On discerne également l’influence de photographes tels Irving Penn ou Robert Mapplethorpe, ces praticiens inventifs ayant su capter l’insaisissable étrangeté de leur modèle. Comme eux, Thierry Dubrunfaut se rend disponible à son sujet, la fleur. Il veut penser avec elle et approcher l’irréductible singularité de chacune d’entre elle. Il inscrit sa démarche dans une relation d’empathie avec elle. Une pratique expérimentale qui rappelle les mots de l’anthropologue Michael Taussig dans sa lecture de la mimesis comme “écologie affective” : “Un moment sensuel de la connaissance qui inclut pour l’agent connaissant de succomber et de se laisser entrainer dans l’inconnu.”
Wivine de Traux, commissaire d’exposition et auteure